Ecrits
n° 337, Juillet 2022
Anthony GIRARD, 2005
Vincent Paulet est un compositeur d’un métier impeccable. Parvenu à maturité alors que la doctrine de la tabula rasa dominait encore le petit monde musical français, il y est resté étranger, choisissant de suivre – brillamment – les classes d’harmonie, de contrepoint, de fugue, d’orchestration et d’analyse et non celle de composition. À ce moment, suivre les deux parcours au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris était mal porté. « Je n’ai jamais eu recours à un professeur de composition ; je pense d’ailleurs qu’un professeur de composition est totalement inutile. » a-t-il dit, « En fait, […] la vraie « classe de composition », ce sont les œuvres qui vous fascinent, qui vous marquent à un point tel que, dans un premier temps, on s’en imprègne dans son écriture même, pour, finalement, s’exprimer au travers d’un langage personnel, apparu progressivement, au terme d’un processus naturel et inconscient. »
Malgré toute sa culture, son savoir-faire, Vincent Paulet est un compositeur intuitif. Pas de savants calculs dans son œuvre, peu de jeux abstraits – sauf dans quelques œuvres de jeunesse –, mais une pensée exclusivement musicale, exprimée dès l’origine au moyen de sons et développée de même.
Artisan sincère, il ne truque pas, ne recourt pas aux béquilles des systèmes tout faits. Il compose lentement, sans souci de produire une œuvre abondante dont il ne serait pas satisfait. Quelques proches le savent : chaque jour, lorsqu’il commence à composer, il s’assoit d’abord et se rechante intérieurement toute la partition déjà écrite, au tempo, pour avoir une conscience nette de la place de la suite qu’il va inventer dans le temps de l’œuvre. L’Office des adieux, une vaste et magnifique pièce d’orchestre, commande de l’État, lui a demandé quatorze mois d’un travail acharné et les œuvres plus brèves n’ont pas été proportionnellement moins exigeantes. On pourrait lui appliquer ce propos que Paul Dukas – autre compositeur d’une œuvre rare – tenait à sa classe de composition : « Il n’est pas nécessaire […] d’écrire beaucoup, vingt-cinq pages suffisent (voyez L’Après-Midi d’un Faune). Mais ce sont ces vingt-cinq pages qui, justement, manquent dans notre littérature musicale actuelle. »
Lentement, mais avec passion et sincérité, Vincent Paulet a écrit quelques-unes de ces pages nécessaires à notre temps : cet orchestre tour à tour raréfié et sombre ou si lumineux de L’Office des Adieux ; Musique pour douze instruments, œuvre si justement distinguée par le jury du concours Alea III de Boston en 1997 ; ou In memoriam Manuel de Falla, commande de la Casa de Velázquez lorsque le musicien y était pensionnaire. Et, parmi les autres pièces à citer, il faudrait penser à inclure plusieurs pièces d’orgue.
Il y a dans le travail de Vincent Paulet une dimension religieuse, qui peut apparaître ou non, l’auteur n’ayant pas l’habitude de tenter d’imposer une manière d’entendre à ses auditeurs par de longs textes faisant office de prêt-à-penser. En revanche, dans le choix des sujets, des titres et de certaines préoccupations, cette dimension se lit clairement, quoique avec discrétion. Dans sa musique comme dans sa vie. Les ors et le faste de la cathédrale ne lui sont pas nécessaires. Avec naturel, les thèmes grégoriens viennent sous sa plume, développés, modifiés, et se coulent dans son style, pourtant si différent de celui des musiciens anonymes qui en ont forgé le répertoire : La Ballade des Pendus, L’Office des Adieux y font emprunt, comme aussi le Salve Regina ou le Verset sur Ave Maris stella, pièces pour orgue dont les titres sont plus transparents. Plus qu’une référence musicale, il s’agit d’une véritable influence. Dans le Verset sur Ave Maris stella, de nombreuses phrases, complètement dans son style, sont autant de courbes lointainement issues de monodies grégoriennes : retour insistant d’une note choisie, amplification mélodique, stabilité du mode – quoique ceux du compositeur soient irréductibles à une théorie scalaire diatonique.
Autre trait caractéristique du compositeur, sa musique semble complexe. Et pourtant, ce n’est pas par volonté de rendre ardue la tâche de l’interprète. Plus d’une fois au cours de discussions, à propos des parties de cordes de telle pièce ou plus régulièrement encore durant la composition du Psaume 129 pour chœur mixte a cappella, cette préoccupation a refait surface, montrant le souci du compositeur d’écrire le plus simplement possible. Mais cette volonté se heurte aux nécessités de son art, à la richesse de son univers harmonique comme à la souplesse et la fluidité de sa rythmique qu’il ne peut écrire autrement qu’avec les valeurs très précises de ses partitions, aux traits qui fusent, limpides ou tragiques, aux accelerandos ou rallentandos progressifs de mainte figure. De son propre aveu, son écriture a peu varié depuis ses débuts :
« Comme toujours dans ma musique, c’est un rythme souple, sorte de rubato écrit avec la plus grande précision possible (ce qui le fait paraître souvent compliqué, en dépit de mes efforts constants pour le simplifier) ».
Mais il faut en venir à une des plus grandes particularités du style du compositeur : Vincent Paulet est un compositeur thématique, c’est-à-dire qu’il invente des thèmes, les donne à entendre, et même à réentendre. Il joue avec et les varie. En ce sens, c’est un musicien véritablement audacieux qui fait ce que très peu de compositeurs ont osé depuis un demi-siècle. Comment peut-on prétendre « être de son temps » et ne pas utiliser des procédés, des processus, et même ces bonnes vieilles séries bientôt séculaires ? Vincent Paulet ne prétend rien, il n’entoure pas sa musique de gloses pesantes et dissimulatrices. Sur cet aspect de son œuvre comme sur tous les autres, nul manifeste, nulle prise de position violente ; Vincent Paulet trace son chemin comme Henri Dutilleux, l’un de ses compositeurs favoris : avec sûreté et discrétion. Il se contente de composer, en prenant tous les risques, en ne se fiant qu’à lui-même :
« Les procédés de type sériel (quoique appliqués à des éléments thématiques qui ne sont jamais de véritables séries, et qui ont un réel profil thématique – et un rôle thématique –) ont disparu progressivement [de mon] discours, au profit de formes de développement plus directes, plus simples finalement, du moins à l’écoute : qu’on ne s’imagine pas que cela soit plus facile à écrire pour autant : en fait, c’est beaucoup plus fastidieux, et plus exigeant ; on ne mesurera jamais assez à quel point le recours à des procédés systématiques, même très complexes (comme, par exemple, les présentations harmoniques – je préfère ce terme à « coagulations » – en triple canon que l’on peut voir (si on a l’œil !) dans La Ballade des pendus) est une facilité pour le compositeur ; écrire sans le recours d’aucun système, voilà la vraie difficulté, l’exigence suprême : l’oreille, rien que l’oreille, dans une soumission totale à l’inspiration. »
Le langage du compositeur n’est pas forcément évident à saisir pour qui n’est pas familier des grands créateurs de notre temps, tels Bartok, Stravinski ou Dutilleux. Mais il n’est pas non plus obscur, ni d’une cohérence cryptée qui n’apparaîtrait qu’à une étude bénédictine de la partition. Il suffit d’écouter et les thèmes se présentent, bien vivants, avec leurs harmonies chatoyantes et variées. Le discours du musicien nous entraîne. Avec ses particularités, il ne cherche qu’à se faire comprendre :
« La facilité d’accès du public à mon œuvre est, en tous cas, une de mes préoccupations majeures, et c’est sans doute ce qui m’a amené, quoique de façon progressive et inconsciente, à établir avec l’auditeur une communication plus directe (dans L’Office des adieux, par exemple, aucun élément du discours thématique n’est occulté). Il n’y a rien de démagogique là-dedans : je suis effectivement mon propre (et mon premier) public […]. »
Peut-être cette évidence du discours thématique s’affirme-t-elle au fur et à mesure du travail créateur, mais elle est présente bien avant ce que cette citation pourrait faire croire. Le Grand Stellaire ou Laus (1991-1992), par exemple, sont des pièces dont on peut suivre aisément le parcours thématique. Cette lisibilité se retrouve dans toutes les grandes œuvres plus récentes. Dans le Deuxième Quatuor à cordes, en forme d’études (1994), que sa structure en plusieurs parties n’empêche pas d’être une suite de variations. Dans Musique pour douze instruments, si unitaire et si riche. Dans le Psaume 129, fresque chorale a cappella de près de vingt minutes, qui emporte l’auditeur des premiers aux derniers mots.
Car, si Vincent Paulet demande une participation à son auditeur, c’est bien celle-ci : d’écouter et de se souvenir jusqu’à la fin. Si l’auditeur se laisse prendre aux séductions de sa muse, l’œuvre, alors, ne le quittera plus.
Philippe Cathé,
Université de Paris IV - Sorbonne, 2006
http://www.musicweb-international.com/classrev/2011/Mar11/Paulet_HOR080.htm
The works here all date from Paulet’s early years, the years, indeed, during which he found his musical voice : everything except the Sonatine was written between 1987 and 1996. The piano, played to great effect by Jean-Michel Dayez, is central to the feel and substance of this CD. It’s Paulet’s second instrument.
La Ballade des Pendus itself is the most substantial item on this CD ; it sets Villon’s Epitaph and is performed here with real sensitivity combined with … excitement. Seemingly an odd combination, the players’ enthusiasm is nevertheless highly successful. Very appealing. Mezzo, Isabelle Soccoja, sings with real insight into the music ; while never relying on the inherent musicality of Villon’s words, she communicates every nuance both of the texts and Paulet’s empathy with them.
Nuit arose out of an equally unlikely-sounding juxtaposition : the stage and a lullaby. Again, it’s a testament to Paulet’s incisive vision and the skill and perception of the players that this works as well as it does. Although the piano is treated as a melodic instrument, its colours are quietly recognised and the virtuosity of Dayez’s playing is not overlooked ; there is nothing showy or gratuitous. By now, listeners new to Paulet’s work and world will have an unambiguous sense of just how substantial his music is.
Partita 2 was written for the dedicatee of the piece, Pascal Ravez, initially without the piano ; Paulet soon saw the need to reinforce his ideas harmonically. It won the first prize at the International Flute competition in Kobe (Japan) and is regarded as Paulet’s first mature and acknowledged composition. Marion Ralincourt’s playing is immediate, suave and highly communicative.
The Sonate pour violoncelle et piano lasts almost as long as the Ballade. It’s both impressionistic and full of variety. Although nodding in the direction of the styles of the Second Viennese school, and Webern in particular, in its fragmentation, the Sonata is strikingly holistic in its tonal centre and in emphasising the instruments’ sonorities yet not relying on them. Gagnepain and Dayez’s playing is penetrating as it demonstrates togetherness in their sense of line and adherence to the rhythms that move the piece forward.
The Sonatine pour violon et piano and Sur un nuage are both short and condensed. They, too, show the influence of Bartók. There are autobiographical elements in each - if in no other sense than that they convey yearning and unease. There were obviously compositional challenges to make as much of the shortness into which Paulet condensed his ideas. They are challenges to which he rose very well indeed. The results are memorable and highly pleasing.
All these performers, then, start by being demonstrably in full accord with the spirit and quite precise compositional aims of Vincent Paulet. Irony is underplayed. Pathos is not dramatized. Subtlety (in evocation of night or stasis, for example) is left nuanced, yet is not too subtle as to be a mirage. The gentleness and tension of this music go hand in hand and demand a precision which is delivered throughout the hour and a quarter of music on this CD. By its end, one longs for more music by this composer, who shares Messiaen’s spiritual richness, the delicacy of Debussy and Chausson and even the flair and warmth of Iberian culture. Paulet has lived and worked in Barcelona.
The disc comes with a full, informative and very communicative set of essays by Paulet and brief biographies of the performers. The recording quality is excellent, and the acoustic close and supportive of the music. If this is the kind of musical enterprise that either intrigues or piques your curiosity and/or you want to be left satisfied by new and exciting music, this is definitely one you should be looking at closely.
Mark Sealey
www.codaex.com
Ce n’est pas un choix de ma part : la commande qui m’a été faite en 1988 m’imposait ce texte ; mais j’ai adhéré à cette proposition, car la profonde humanité de ce poème m’a toujours touché : Villon, qui, en l’attente de son exécution, aurait composé cette « Épitaphe » à son propre usage, nous implore, nous, ses « frères humains », de prier pour sa rédemption.
En mettant en musique ce poème, j’ai surtout cherché à laisser s’épanouir la musicalité des mots, en développant et commentant les différentes idées du texte, vocalement mais aussi instrumentalement (entre chaque strophe intervient un commentaire purement instrumental), parfois de façon ouvertement figuraliste, car Villon n’est pas avare de descriptions macabres : l’effectif instrumental, composé d’un quatuor à cordes, d’un piano et d’une clarinette tour à tour menaçante, caressante ou apocalyptique, offre une palette sonore inépuisable à qui veut suggérer le vent, la pluie ou les corbeaux… quand ce n’est pas le balancement des cadavres. Mais on aurait tort de ne voir dans tout cela que de la noirceur : Villon fait aussi de ce poème une prière et nous adresse un message d‘espoir ; à la fin de l’oeuvre, je souligne cette dimension en citant le début d’une antienne grégorienne : « In paradisum », reposant sur une harmonie transfigurée.
Le piano est présent sur toutes les pièces du disque : joue-t-il un rôle particulier dans votre écriture ?
C’est mon instrument de prédilection, mon prolongement naturel en quelque sorte, puisque je m’en sers aussi bien pour composer que pour lire des partitions, improviser ou enseigner ; mais le fait que le programme du disque tourne autour du piano est surtout dû à la présence de l’un des plus fidèles interprètes de ma musique : Jean-Michel Dayez.
Comment avez-vous choisi les musiciens ?
Jean-Michel Dayez, qui a également participé au choix des oeuvres, m’a proposé deux de ses partenaires : Marion Ralincourt et Xavier Gagnepain ; de mon côté, je connaissais de longue date Isabel Soccoja et les musiciens du quatuor Parisii (lesquels ont proposé à Florent Héau de se joindre à eux) pour avoir déjà travaillé avec eux sur la « Ballade des pendus » ; quant à Nicolas Krüger, je l’ai connu à l’occasion de la première audition à Londres de mon « De profundis », où il dirigeait les BBC Singers. Je dois dire que je ne regrette rien de cette distribution : l’engagement de tous, palpable à l’audition, apporte à l’interprétation une autorité et une force de conviction que je trouve irrésistibles.
Pour vos oeuvres, quelle place joue le concert vis-à-vis du disque ? Sont-elles reprises en concert après leur création ?
Oui, la plupart sont reprises, certaines plus que d’autres, comme, sur ce disque, « Partita 2 », qui, depuis le prix qu’elle a remporté en 1987 au Japon, figure au répertoire de nombreux flûtistes. Pour un programme discographique, j’essaie toujours de rassembler des oeuvres qui ont suffisamment « tourné » en concert (« Le grand stellaire » ou le « De profundis », précédemment enregistrés, avaient été joués plus de 30 fois), ce qui apporte au disque une maturité que l’on risquerait de ne pas obtenir en choisissant des partitions plus « fraîches ».
En dehors de la littérature, quelles sont vos sources d’inspiration ?
Tout ce qui peut enrichir mon imaginaire ; mon univers intérieur est fait de spiritualité et de délire (Jérôme Bosch y côtoie Greco et Dostoïevsky… Boby Lapointe !), ces tendances apparemment contradictoires se nourrissant mutuellement, ce qui explique sans doute la diversité et la mobilité de la musique que j’écris.
Appartenez-vous à une école ou à un mouvement ? ou défendez-vous une esthétique particulière ?
Je crois que l’on peut utiliser les ressources d’une écriture d’avant-garde tout en pratiquant un art relié à la tradition : la musique que j’écris ne s’interdit aucun moyen d’expression, du moment qu’il soit au service d’un contenu artistique authentique et sincère ; cette position, aussi éloignée des conservatismes que des esthétiques de rupture, constitue une sorte de troisième voie, pas toujours confortable ; en tout cas, je revendique fièrement cette indépendance.
Propos recueillis par D.M.,www.codaex.com
lettre électronique de Radio-France, n° 409
Vincent Paulet, un volcan souterrain
L’Orchestre Philharmonique de Radio France créera Volcaniques de Vincent Paulet le 19 novembre prochain, salle Pleyel.
Vincent Paulet, je crois que votre nouvelle partition, Volcaniques, est le produit d’une commande assez ancienne...
En effet, il s’agit d’une commande de Radio France datant de 2002, époque où René Koering était directeur de la musique. Radio France, contrairement à ce qui se passe dans de nombreuses institutions, attend, avant de les programmer, de recevoir les œuvres qu’elle a commandées. C’est une démarche que j’apprécie, qui permet au compositeur de ciseler sa partition, mais qui est dangereuse quand on tombe sur un perfectionniste comme moi, qui doute et se remet toujours en question, qui relit toujours deux cents fois son travail ! Quel que soit mon degré d’inspiration, la composition musicale est toujours pour moi quelque chose de douloureux.
Ce qui veut dire ?
Que j’éprouve de l’angoisse à composer, mais que je ne peux pas m’en empêcher. D’abord, parce que je ne sais faire que ça, ensuite parce que j’espère que ce que je fais est utile. Mais je m’impose des horaires de bureau pour ne pas me disperser, pour ne pas trouver de prétexte pour faire autre chose. Ce qui ne m’empêche pas de passer quelquefois une semaine sur une note ou deux semaines sur une mesure. Je pratique le doute méthodique.
Vous dites que ce que vous faites vous paraît utile : la musique, comme d’ailleurs l’art en général, n’est-elle pas au contraire ce qui, par définition, est inutile ?
D’abord, la musique que je fais m’est utile, à moi. J’en ai besoin. Et puis, je sens qu’il est nécessaire, salutaire, de transformer la vie quotidienne, qui avec ses limites a quelque chose de dérisoire.
Comment avez-vous fini par terminer Volcaniques ?
Volcaniques est une partition que j’ai écrite en différentes périodes. Tout s’est mis en place un peu à la fois, sachant que les contraintes de départ étaient peu nombreuses : composer une œuvre pour orchestre d’une durée comprise entre quinze et vingt minutes. Je travaille sans plan prédéterminé. Les idées déterminent la forme et la façonnent. Au début, tout paraît très simple, la mécanique répond à l’imagination ; les difficultés surgissent par la suite ! Il est loin le temps où, comme au XVIIIe ou au XIXe siècle, l’architecture des œuvres était préfabriquée. Il s’agit aujourd’hui d’inventer à chaque fois une forme nouvelle. Pour Volcaniques, je suis arrivé à une forme en trois mouvements, vif-lent-vif, les deux derniers étant enchaînés, bien qu’il y ait du silence après chacun des deux premiers. Le premier mouvement est une énigme, quelque chose de nerveux et d’agité. Les deux suivants sont une réponse avec, dans le deuxième mouvement, deux grandes parties mais aussi une procession faite de différents costumes et un vaste crescendo ; et, dans le troisième, trois sections dont une section centrale immobile sur une pédale de contrebasses.
Vous parlez de procession, de costumes : s’agirait-il de musique à programme ?
Non, mais j’ai un tempérament assez visuel, et ce type d’image m’aide à fixer mes idées musicales. Quant au titre, c’est l’expression d’une synthèse, qui m’est venue plus tard, sachant que dans le deuxième mouvement, le volcan est souterrain.
Ecrivez-vous au piano ou directement pour l’orchestre ?
J’écris devant un piano mais pas exactement pour le piano. Généralement, je fais d’abord un condensé sur deux, trois ou quatre portées, puis j’orchestre. Mais je vais dans l’avenir tenir de plus en plus compte du timbre, qui n’a jamais été structurel dans ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui mais qui pourrait le devenir. Je n’appartiens pas à une esthétique de la rupture. Ma musique est thématique, harmonique, mélodique, elle ne répugne pas à cultiver la pulsation rythmique. On oublie trop souvent, dans nos débats franco-français, de parler d’art, on parle trop de technique. Je ne m’interdirai jamais un accord parfait s’il donne un sens à ma partition.
Propos recueillis par Christian Wasselin
En 1995 et 1996, Paulet développa des éléments issus d’une pièce de théâtre musical : en résultèrent Nuit pour piano, dont les bouillonnements s’éveillent d’une ténébreuse rêverie, puis la Sonate pour violoncelle & piano, jouant de réminiscences stylistiques éparses (dont La Valse de Ravel), mais d’une écriture moins convaincante dans sa nudité. La micro-Sonatine pour violon & piano de 2003 (trois mouvements en trois minutes, qui dit mieux, Webern excepté ?) semble d’abord transformer les instrumentistes en derviches-tourneurs, avant un mouvement central aussi tragiquement désolé que La Ballade des pendus et un finale incisif. La plus récente pièce, Sur un nuage, qui fait tournoyer en moins de trois minutes des humeurs… atmosphériques, précède juste Volcaniques qui sera créée le 19 novembre prochain à Pleyel par l’Orchestre philharmonique de Radio France sous la direction de Lawrence Foster.
Après le poignant De profundis (Hortus : 036), la deuxième monographie consacrée par le label Hortus à Vincent Paulet consacre un créateur mû par une sensibilité soucieuse de sa seule vérité intérieure, indépendamment de tout apparentement d’école.
Sylviane Falcinelli, http://leducation-musicale.com/newsletters
Vincent Paulet, l’orchestre volcanique
Né en 1962, Vincent Paulet appartient à une génération de compositeurs pour qui la rupture avec la tradition musicale n’est plus ressentie comme une nécessité. Son langage musical s’enracine en effet dans l’histoire de la musique française et s’attache à des valeurs telles que l’expression mélodique, la pensée harmonique ou le rapport tension-détente. Le discours musical de Vincent Paulet cherche ainsi à traduire des émotions et surtout, se veut accessible à l’auditeur non spécialiste. Mais il ne tombe pour autant pas dans le caractère racoleur qui menace certaines musiques bâties sur ces principes. La musique de Vincent Paulet non seulement charmera l’auditeur, mais a de surcroît toutes les ambitions : raffinée, librement atonale, elle résulte des aspirations spirituelles du compositeur qui cherche à transformer le quotidien en œuvre d’art.
S’il a jusqu’ici plutôt été remarqué pour ses œuvres chorales (notamment grâce à son enregistrement monographique De Profundis paru en 2004 chez Hortus), Vincent Paulet se consacre depuis quelques années à l’orchestre. Sa nouvelle pièce, Volcaniques, est en gestation depuis 2002. Fruit d’un long travail, elle a été le fruit de nombreuses remises en cause dans la pensée musicale du compositeur et constitue une étape essentielle (un aboutissement ?) dans l’évolution de son langage depuis quelques années.
Pourquoi ce titre de Volcaniques ? Le compositeur explique que le titre s’est imposé à lui après l’écriture de l’œuvre comme pour rendre compte après coup de son essence. Et cela se passe toujours ainsi pour lui. Cette pièce pour grand orchestre, avec les vents par trois, avec percussions et piano, est « volcanique », spectaculaire, virtuose et agitée.
Vincent Paulet trouve l’insertion de Volcaniques dans un programme de musique française listant Ravel et Dukas à la fois intimidante et réjouissante. Intimidante, car il est toujours dangereux, voire catastrophique, pour un compositeur contemporain de faire voisiner sa nouvelle pièce avec les chefs-d’œuvre du passé. Mais réjouissante, car Vincent Paulet s’inscrit volontiers dans cette tradition française dont sont issus Dukas et Ravel, et que le Concerto en sol est l’une des œuvres qui l’ont beaucoup marqué lors de sa formation.
Yannick Alirol
Traduction (extrait)
Le meilleur de la soirée fut de découvrir la nouvelle vision de l’Espagne des Français, très différente de celle, pittoresque et déphasée, que nous connaissions. L’hommage de la puissante figure de la musique française qu’est Vincent Paulet (1962) à Manuel de Falla, « Otra noche », orchestration d’une pièce antérieure de musique de chambre, dont c’était la création, met en oeuvre une rare et fascinante poétique nocturne, assaillie d’épisodes hachés et frénétiques. Oeuvre d’une économie thématique savamment exploitée et d’une beauté extatique à la fois dépouillée et morbide, elle évoque Falla, naturellement, mais aussi Dutilleux et d’autres grands contemporains qui, au bord de l’abîme tonal, ne s’y précipitent jamais. Kantorow, qui excelle dans les répertoires contemporains, en donna une lecture superbe, ponctuée de remarquables interventions des solistes Waleson (piano), Martínez (hautbois) et Dupont (violoncelle), au son beau, âcre et incisif.
Juan María Rodríguez
Traduction
L’imaginaire français a toujours été captivé par ce qui a trait à l’Espagne ; tant la littérature que la musique regorgent d’impressions et de témoignages ayant donné naissance à des stéréotypes, des poncifs et parfois à des ouvrages qui, davantage que de revendiquer une véritable identité espagnole, révèlent le regard que leurs auteurs pouvaient porter sur l’Espagne.
Ainsi, après une lignée allant de Lalo à Ohana (grand absent du festival), c’est à présent à Vincent Paulet de prendre le témoin du compositeur français de musique d’inspiration espagnole ; encore qu’après l’audition d’ « Otra noche, recordando a Manuel de Falla », il apparaît que Paulet n’est en réalité pas sur la même longueur d’ondes, éludant les poncifs comme il le fait et créant dans cette pièce un univers sonore personnel sur la base de motifs fragmentaires issus de l’oeuvre de Falla.
Cette musique est possédée par une sorte d ’apesanteur, par laquelle ces cellules élémentaires semblent dériver au sein d’un espace clos, mais aux possibilités illimitées. Tout se passe comme si la vision de Falla s’opérait à travers d’un caléidoscope sonore. L’écriture se transforme en un mécanisme par lequel la sensation d’éternel retour provoque une inquiétude nocturne aigre-douce d’une musicalité innée. Subtilement omniprésent dans la partie de piano, le ressort harmonique, par son mode de fonctionnement, y est pour beaucoup. Le pianiste Waleson, un musicien aux multiples facettes, est de ceux qui savent comment exprimer davantage avec une plus grande économie de moyens. Son sens peu commun des effets tant percussif que timbrique du piano, ainsi que la connexion naturelle qui le relie spirituellement à la musique de Falla, se sont révélés essentiels pour interpréter l’oeuvre de Paulet.
Non moins importante fut l’excellente direction de Kantorow, qui devrait s’investir davantage dans ce domaine avec l’orchestre de Grenade. Réussissant à intégrer les différentes sections de la partition et les remarquables passages livrés aux solistes en une forme unitaire convaincante, Kantorow parvint à optimiser l’effet spectral produit par la superposition des couleurs instrumentales. Paulet, Waleson, Kantorow et l’orchestre Ciudad de Granada furent tout simplement à la hauteur, non seulement de la commande, mais également de la mémoire de Falla.
Jorge Córdoba Moya
VÉRONIQUE LE GUEN (orgue)
Chœur Les Éléments, dir. JOËL SUHUBIETTE
Vincent Paulet : L’oeuvre d’orgue ; De profundis pour chœur mixte ;
Suspiros pour chœur mixte, ténor solo et quatre cordes
HORTUS 036
Quand retentissent dès le début du disque les accords profonds de tierces graves du De Profundis, que vont perturber avec un sens tragique de poignantes dissonances dictées par les accents du texte et de l’âme, on sait d’emblée que l’on est en présence d’un authentique créateur, capable de retrouver les valeurs éternelles véhiculées par les grands textes latins et d’apporter un éclairage personnel et actuel à l’écriture chorale. Le premier disque monographique consacré au compositeur quadragénaire Vincent Paulet laisse une empreinte émotionnelle indélébile, et on comprend que Joël Suhubiette, l’un des meilleurs chefs de chœur actuels, lui soit fidèle ; il tient d’ailleurs l’atmosphère envoûtante de cette grande œuvre avec une intense concentration. Un autre type de parcours par-delà les siècles anime Laus pour orgue, où l’on part de l’harmonie médiévale pour gagner insensiblement une écriture instrumentale très moderne ; Véronique Le Guen s’y meut avec une aisance confondante et tire le meilleur parti des timbres de l’orgue Pascal Quoirin de Saint-Rémy de Provence. Certes, la formation d’organiste reçue par Vincent Paulet l’aide à trouver les solutions les plus idiomatiques pour soutenir son propos ; il sait repartir du legs historique véhiculé par l’instrument pour apporter sa pierre à l’édifice, ainsi que le montrent les trois autres pièces ici gravées. Véronique Le Guen trouve fort expressivement les voies de ce cheminement inscrit dans un esprit de continuité. L’oeuvre la plus récente, Suspiros sur des poèmes mystiques espagnols, fait ressentir physiquement l’angoisse de la quête pressante de ce Dieu qui ne répond pas ; le chœur s’y adjoint quatre instruments à cordes solistes utilisés de fort judicieuse manière. Un vrai tissu entre solistes vocaux et instrumentaux se noue au fil de cette bouleversante mais impétueuse déploration ; la qualité de chaque pupitre de l’ensemble Les Éléments s’y révèle pleinement ; toute la violence intérieure de la ferveur mystique espagnole est ainsi recréée. La prise de son exploite savamment les acoustiques des églises où le chœur et l’orgue ont été captés, prolongeant les climats suscités par les interprètes. L’année s’ouvre donc par un magnifique programme de musique contemporaine, de ceux qui prouvent indiscutablement qu’un créateur actuel peut toucher le cœur des mélomanes.
Sylviane Falcinelli
De Profundis de Vincent Paulet
Parce que la musique contemporaine n’est pas l’apanage d’un cénacle de grammairiens obsédés par la forme et la technologie musicales, il est toujours possible de découvrir avec enchantement des œuvres inouïes, d’une profonde beauté, qu’une génération de jeunes compositeurs s’emploie à ciseler avec patience et invention.
S’inscrivant dans une lignée ininterrompue de compositeurs de musique sacrée, Vincent Paulet nous propose, dans le langage de son temps nourri des nombreuses influences de ses prédécesseurs, une voix nouvelle pour chanter Dieu. Chant de louange confié aux milliers de flûtes de l’orgue (Laus), chant de deuil pour chœur a capella (De Profundis), d’émerveillement (Ave maris stella) ou d’intercession (Salve Regina), cette musique profondément originale invite à contempler le mystère d’un Dieu présent au cœur de l’homme avec une écoute renouvelée et d’une éblouissante fraîcheur.
Les interprètes sont à la hauteur du défi, faisant oublier la très haute virtuosité de ces pages pour laisser paraître en pleine lumière le grand souffle d’une inspiration véritable et fervente.
Pascal Marsault
El Trío Controverse y el Cuarteto Ravel en una tradicional convocatoria hispano-francesa
« … El Cuarteto Ravel interpretó el segundo « Cuarteto » de Paulet, « en forma de estudios ». En efecto, se suceden cinco pequeñas piezas, rematadas por un epílogo, en cada una de las cuales se investiga acerca de otras tantas técnicas de ejecución « tempí », « pizzicati », intervalos, armónicos y arcadas. Por encima de la cualidad casi didáctica del
planteamiento, cada pieza demuestra la innata musicalidad del autor.
… Concluyó el concierto con la fusión de ambos conjuntos para la interpretación, bajo la eficaz dirección de Tomás Garrido, de la hermosa obra que Vincent Paulet había escrito expresamente para la ocasión : « Le grand Stellaire ». En ella atiende cumplidamente Paulet tanto a las posibilidades como a los condicionamientos del Trío Controverse, y utiliza el cuarteto de cuerda para explotar al máximo su rica intuición armónica y, al paso, lograr una sonoridad casi orquestal, tan nueva como atractiva. Esto, lejos de implicar sonido como « masa », se traduce en riqueza tímbrica. Al final, el resultado se diría « muy francés ». Ante la ausencia de espacio para (intentar) explicar esto, digamos que, durante la escucha, aleteó el recuerdo de Debussy. »
José Luis GARCÍA DEL BUSTO
FALCINELLI Sylviane, "Vincent Paulet ou la fécondité des contradictions", L’Éducation musicale, n° 521/522, 2005
FLORIN Ludovic, "Entretien avec Vincent Paulet", Euterpe, n° 19-20, 2011/12
LEBRUN Eric, "Vincent Paulet", Guide de la musique d’orgue, Fayard, édition 2012
PIAT Françoise, "Vincent Paulet, compositeur", Lettres d’Orgue, n° 5, 1997
ROLDAN HERENCIA Gonzalo, "Vincent Paulet", Ritmo, n° 799, Madrid, 2007
ROUET Pascale, "La Messe de Vincent Paulet", Préludes, n° 60, 2008
ROUET Pascale et MARCHAND Christophe, Enquêtes sur le Sacré dans la musique d’aujourd’hui, Delatour, 2011
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